Ce n'était pas nouveau. Rien ne l'était vraiment d'ailleurs, juste de vieux rêves qui revenaient par vague et que je décidais enfin de ne plus ignorer. Sans m'en rendre compte, j'avais vécu des années dans une sorte de déni. Une léthargie étrange dont je me sortais à peine. Il avait fallut un drame, un grand coup dans mon moral pour que je me réveille enfin. Brutalement, certes, mais peut-être était-ce le seul moyen de vraiment revenir sur terre ? Alors voilà, j'avais pris mes clics et mes clacs et j'avais sauté dans un avion pour enfin vivre mes rêves.

Très joli sur le papier, très optimiste aussi mais les choses n'étaient pas si faciles. Rêve ou non, je ne pouvais oublier ce qui m'avait poussé au réveil et qui m'empêchait toujours de dormir... Beau paradoxe n'est-ce pas ? Mais il en faut plus pour mettre une Summers sous terre ! Je ne pouvais pas baisser les bras maintenant, pas après avoir sauté le pas ! Il fallait que je m'accroche, que je me relève. Le travail, les projets, la vie. J'avais de la chance d'avoir trouvé tout ça ici, d'y avoir toujours été chez moi finalement. L'endroit idéal pour reprendre à zéro, pour ne plus faire les mêmes erreurs. Aller de l'avant.

Et c'est ce que je faisais. Près d'un an que j'étais là, les choses étaient un peu plus calmes, plus stables. Il était temps de laisser place à un autre rêve. Avec un sourire jusqu'aux oreilles, j'avais enfin signé le petit bout de papier qui allait faire un heureux, deux avec moi bien sûr : J'allais enfin passer mon permis moto après toutes ces années à m'accrocher au dos de Deran ou de Craig. J'aimais être passagère, sentir le vent dans mes cheveux sans avoir de responsabilité... Mais aujourd'hui je voulais contrôler ma liberté, décider, prendre les choses en mains. Mieux vaut tard que jamais.  

Toujours souriante et avec l'impression de marcher sur un petit nuage, j'avais ensuite pris la direction de chez Deran. Nous avions justement prévu une petite balade à moto et quel meilleur moment pour lui annoncer la nouvelle ? Je trépignais déjà d'impatience ! Casque sous le bras, tenue de moto déjà enfilée, j'étais prête pour la liberté. Depuis le temps qu'il tentait de me convaincre de passer ce fichu permis ! Quoi qu'il ne se plaignait pas de me subir comme passagère, il était trop gentil pour ça. Craig et lui étaient vraiment des amours malgré les apparences ou les rumeurs que je n'écoutais pas. Je les connaissais trop bien, je voyais le bien en eux.

On m'avait apprit à ne pas juger les gens sans les connaître, à toujours donner une seconde chance. Je n'étais pas naïve pour autant, je me doutais qu'il se tramait quelque chose de louche dans leur famille, comment pourrais-je en douter après toutes ces années et tous les bleus constatés ? Mais ils étaient gentils avec moi, toujours bienveillants, toujours souriant. Quoi qu'ils fassent quand nous n'étions pas ensemble n'avait pas d'importance et, en réalité, je préférais ne pas savoir pour ne pas me laisser influencer. Parfois, l'ignorance est la clef du bonheur.

« Coucou ! Prêt pour notre virée ? » Lançais-je avec enthousiasme alors qu'il ouvrait la porte. « Je suis un peu en avance, désolée. »

Ajoutais-je avec un petit haussement d'épaules plein d'excuse et un sourire en coin. J'étais toujours en avance, il le savait très bien. Nous nous connaissions bien depuis le temps. J'ignore encore comment il pouvait me supporter mais je lui ne étais on ne peut plus reconnaissante. Surtout en ce moment, surtout avec la fatigue et cette fichue depression qui ralentissait encore tous mes pas. Elle passerait un jour, à coup de tour en moto et de travail acharné. Je pouvais le faire ! Et j'avais une chance monstrueuse d'avoir les Weary pour m'y aider. Eux et les gens qui m'avaient recueilli ici et qui m'aidaient à me sentir chez moi et en sécurité.

En réalité j'étais une hors-la-loi depuis un petit moment déjà puisque Deran était le seul à me faire assez confiance pour me laisser conduire sans le petit papier qui m'en donnait le droit. C'était sûrement sa façon de m'encourager à passer ce fichu permis et ça avait fini par fonctionner ! J'étais tellement impatiente de lui dire que j'allais enfin franchir le pas et que nous allions enfin pouvoir rouler librement ! Mais chaque chose en son temps, je pouvais bien attendre encore un peu en laissant planer le doute.

Puis je n'allais pas lui sauter dessus à peine la porte ouverte quand même ! D'ailleurs, sans grande surprise, il n'était pas prêt. J'avais vu Deran sans haut plus d'une fois mais il fallait bien admettre que la vue était toujours aussi agréable. Ami ou non, il m'était impossible de ne pas le trouver charmant, tout comme son frère soit dit en passant. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir ! Heureusement, avec le temps, j'avais pris assez l'habitude pour ne plus rougir de le voir ainsi et j'étais même assez à l'aise pour garder mon sourire et un air détaché. Ça n'avait pas toujours été le cas et il m'avait fallut un moment pour ne plus balbutier nerveusement face au spectacle.

« Pour risquer de te retrouver nu dans ton jardin ? Non pas que le spectacle semble particulièrement désagréable hein, mais je préfère quand même éviter ! » Le taquinais-je alors qu'il me disait pour la centième fois que je pouvais entrer sans frapper. « Et ne t'en fais pas, je suis en avance. »

Ajoutais-je sur un ton léger en le suivant à l'intérieur. J'étais venu plus d'une fois ici, je savais que je pouvais faire comme chez moi mais c'était au dessus de mes forces. Trop polie peut-être ? Un peu de timidité aussi sans doute et toujours cette impression de déranger. Mais les Weary me connaissaient bien, ils avaient l'habitude. Et quelle patience, j'avais vraiment de la chance qu'ils soient aussi gentils avec moi malgré tout !

« Je vais juste te piquer un verre d'eau, merci. Tu veux quelque chose puisque j'y suis ? »

Demandais-je en me dirigeant vers la cuisine après avoir laissé mon casque dans l'entrée. Je l'entendais se préparer à quelques pas mais n'y prêtais pas attention, me servant un grand verre d'eau histoire d'être fraiche pour partir. J'étais plus souvent passagère que conductrice malgré les nombreux cours illégaux qu'il m'avait donné. Je pensais qu'aujourd'hui était une autre balade comme les autres, que j'allais passer quelques heures accrochée à son dos comme une huitre à son rocher mais sa phrase suivante me prouva le contraire... J'allais conduire ! L'excitation monta immédiatement d'un cran, agrandissant mon sourire et faisant pétiller un peu plus mon regard.

« Les motos ? » Répétais-je dans un souffle, le voyant réapparaître dans mon champ de vision. « Et comment que je suis prête ! C'est super ! Mais tu es sûr que ça ne t'embête pas de me donner une énième leçon ? Tu sais, être passagère ça me va aussi. » Affirmais-je avec la plus grande sincérité du monde. J'aimais rouler, quelle que soit ma place sur la moto. « Je ne voudrais pas te gâcher la balade. »

Ajoutais-je avec une petite moue désolée. J'étais une bonne élève mais nous n'avions pas les mêmes possibilités si j'étais "au guidon". Je ne voulais pas qu'il se prenne trop la tête pour moi, surtout que j'allais bientôt ne plus être un boulet ! J'étais tellement impatiente d'ailleurs ! Et dire qu'il m'avait fallut tout ce temps pour me décider ! Quelle boulette vraiment !

Je connaissais Deran depuis des années et, à bien y réfléchir, je ne l’avais jamais vu dans une situation où sa pudeur aurait réellement pu être mise à l’épreuve. Torse nu oui mais, finalement, ce n’était pas si indécent. Quoi qu’il en soit il m’avait un jour confié aimer se faire dorer nu dans son jardin (ou serait-ce son frère qui m’avait dit de me méfier jadis ?) et je préférais donc éviter de nous mettre dans une situation malaisante. Son choix d’adjectif ne put d’ailleurs que me faire rire.

« Folklorique c’est le mot oui ! Et je ne sais pas pourquoi mais j’ai du mal à t’imaginer réellement pudique... »

Le taquinais-je. Non pas que j’ai envie de tester ses limites, il était peut-être agréable à regarder mais, moi, j’étais pudique et légèrement plus prude que je ne voulais bien le montrer. Je redoutais d’ailleurs un peu les habitudes de certains de mes colocataires qui, à juste titre, ne se gênaient pas... Heureusement pour moi, rien de trop gênant n’était arrivé pour le moment ! Pourvu que ça dure !

Quoi qu’il en soit, Deran se prépare rapidement pendant que je prends un verre d’eau. Verre que je manque de lâcher tant je suis heureuse de ce qu’il m’annonce : les motos ! Aujourd’hui je ne serai pas passagère ! Il va me donner une nouvelle leçon, je vais pouvoir piloter toute seule ! Ce n’est pas vraiment une première mais c’est toujours aussi exaltant, ce mélange de bonheur pur et de terreur profonde. J’ai vraiment de la chance d’avoir des amis aussi patients avec moi, je suis aux anges !

« J’imagine ! Craig m’a parfois prêté le guidon mais en restant derrière moi ou vraiment sur de toutes petites distances. » Expliquais-je, me retenant péniblement de trépigner sur place comme une gamine. « C’est vraiment génial merci ! Et au pire on pourra faire une balade un peu plus tard dans la journée ! On pourrait se faire un resto hors de la ville si tu es dispo ? C’est moi qui régalerai bien sûr ! »

Proposais-je ensuite, sans perdre une once de mon sourire qui le montait toujours jusqu’aux oreilles. Je me doutais que le cours allait être fatiguant nerveusement alors deux ou trois petites heures devraient suffire. Ensuite, je pourrais reprendre ma place à l’arrivée et il pourrait se faire plaisir en nous conduisant où il voudra. Un programme que j’adorais déjà et qui, je l’espérais, lui plaira aussi. Je ne voulais vraiment pas le frustrer ou lui faire passer une mauvaise journée, surtout avec tout ce qu’il faisait pour moi !

« Oui chef ! »

M’amusais-je ensuite, lui offrant un petit salut militaire presque enfantin. Ils avaient tous les deux soigneusement éviter de me présenter réellement à la matriarche... Je l’avais croisé bien sûr, quelques mots échangés, des politesses surtout... Je n’avais pas cherché plus loin, mes amis avaient sûrement de bonnes raisons d’agir de la sorte et je n’étais qu’une amie après tout, pas besoin de rencontrer la famille de façon très officielle. Et il faut admettre que leur mère m’impressionnait beaucoup.

« Allons-y vite alors ! Puis tu auras largement l’occasion de te fâcher avec moi une fois que je serai sur la moto à faire n’importe quoi ! »

Plaisantais-je sans la moindre intention de rendre cette prédiction vraie. J’allais être sérieuse, j’étais motivée et j’avais quelques bases. Sans compter que j’avais une confiance absolue en mon professeur ! En tous cas j’allais tout faire pour le rendre fier et pour qu’il passe quand même un bon moment sans que je sois trop un boulet pour lui ! Plus facile à dire qu’à faire sans doute mais la force est avec moi !