« Nous sommes réellement désolés, il n’y avait rien à faire. »S’excusa le docteur sans grande émotion. Je ne devais pas être un cas isolé et il ne pouvais pas s’investir moralement pour chaque patient au risque de finir en dépression. Je n’étais qu’une jeune femme de plus à ses yeux et mon enfant n’était qu’une victime de plus du destin. Nous ne sommes pas toutes faites pour être mère... Et pouvais-je réellement pleurer un enfant que je venais de découvrir ? J’étais prostrée, le regardant comme si j’étais un poisson hors de l’eau. Deux nouvelles d’un seul coup, deux balles en plein cœur : J’attendais un enfant et cet enfant était mort. Déni de grossesse et fausse couche, un duo fréquent j’imagine. J’aurais fait les choses différemment si j’avais su, je n’aurais pas pris autant de risques... Quoi que ? En voulais-je vraiment des enfants ? Si tôt dans ma vie ? Et avec John en plus ? Nous étions bien ensemble mais c’était encore tôt et il était peu à la maison finalement...
« Vous pouvez rester ici encore quelques heures, dites nous juste si vous préférez qu’une ambulance vous ramène ou si quelqu’un peu venir vous chercher. »Finit-il par ajouter face à mon silence. Que dire de plus ? Je n’étais pas stupide, j’avais très bien compris... Tout le sang, la douleur... Ce n’était pas juste une fausse alerte. J’étais rentrée en étant deux et je repartais seule. Le médecin finit par sortit de la petite chambre sans même que je m’en rende compte. Assise sur mon lit dans une chemise de nuit de papier fournie par l’hôpital je semblais attendre le jugement dernier. Devais-je en parler à John ? Il avait dû arriver dans la matinée et se retrouver face à une chambre vide, face à un champ de bataille sanglant. Il était mon premier contact d’urgence mais ma mère m’avait expliqué qu’ils n’avaient pas pu le joindre. Encore en déplacement... Il était sûrement dans l’avion au moment du drame. Peut-être allait-il venir ici directement ? Le pauvre, à peine arrivé il avait dû recevoir un message paniqué de ma mère... J’espère qu’il n’allait pas m’en vouloir et qu’il n’allait pas être trop soulagé non plus. Ou alors... En fait je n’en savais rien, je ne savais même pas ce que je ressentais moi-même.
J’attrape le téléphone placé à côté de moi et tape son numéro par réflexe. Il se moque toujours de moi quand je fais ça sur mon portable mais c’est une habitude. À quoi bon fouiller le répertoire quand le numéro vient naturellement au bout des doigts ? À chaque sonnerie mon cœur manque un bond. Il ne connaîtra pas le numéro mais mon téléphone est resté à la maison. Comment aurais-je pu y penser dans la panique ? Les sonneries se font trop nombreuses mais je suis toujours dans un état second, violemment ramenée sur terre par une voix de femme que je ne connais pas. Peut-être a-t-il oublié son téléphone à la conférence ? Ou à l’aéroport ? La voix féminine est un peu essoufflée, trop sans doute.
« Téléphone de John, Laura à l’appareil. »La voix est rieuse, comme une enfant entrain de braver l’interdit. La surprise me laisse muette un moment. Assez longtemps pour que la voix de John s’élève au fond du combiné.
« Je t’ai dit de ne jamais toucher à mon téléphone ! » S’exclame-t-il avant qu’un bruit sourd ne me fasse sursauter. Il a prit l’appareil, visiblement de façon un peu agressive et sa voix est clairement nerveuse quand elle s’élève enfin vers moi.
« Ici John que puis-je faire pour vous ? »Demande-t-il alors, essoufflé et légèrement trop énervé pour que la phrase sonne juste. Il devrait être à la maison à l’heure actuelle... Depuis quoi ? Trois, quatre heures ? Je reste silencieuse quelques secondes de plus, partagée entre une envie de pleurer et un besoin de hurler. Je raccroche finalement, incapable de parler. Qui était cette Laura ? Pourquoi n’était-il pas là à mon chevet ? Après quelques secondes de plus à fixer le vide, mon cerveau parvient à reprendre un semblant de conscience et je tape cette fois le numéro de ma mère. La pauvre venait sûrement à peine de rentrer à la maison, espérant naïvement que John me ramène chez nous.
❀❀❀❀❀❀
« Ce n’est pas ce que tu crois, je te jure. Mon téléphone était vide alors je n’ai pas eu les messages et... »« Message effacé »À la sortie de l’hôpital, j’ai demandé à maman de passer chez moi pour prendre mes affaires. Bien sûr, il n’y avait personne. J’ai jeté les draps sanglants dans la machine à laver, ouvert une grande valise et j’ai pris le principal. Moralement j’étais au bord du gouffre, il fallait que j’agisse, je devais bouger. Ma mère avait tenté de me calmer, m’expliquant que les hormones et le contrecoup n’aidaient pas. Elle avait raison mais elle n’était pas capable d’expliquer Laura ou son absence plus que moi. L’hôpital n’avait rien précisé, ma mère lui avait juste dit où j’étais, que j’allais bien mais que j’allais avoir besoin de repos. Il n’avait donc pas été assez inquiet pour annuler une visite chez sa maîtresse... Comment pouvait-il faire une chose pareille ? Ne pouvait-il pas au moins la prendre dans un autre pays ?
« Tu es sûre ? Ce n’est peut-être qu’une collègue ? Pourquoi aurait-il fait ça à peine rentré ? »« Je n’en sais rien maman, j’étais censé être au travail à son retour, il savait que je ne l’attendais pas réellement. »C’était ça notre problème en fait, nous ne nous attendions plus réellement. Lui toujours en déplacement, moi toujours au travail ou en formation... Nous vivions avec un fantôme, une idée de l’autre. J’avais ma part de responsabilité et j’en était consciente. Il était temps de prendre nos distance, de faire un point sur nos vies. Pour l’instant j’étais chez mes parents, le cœur en vrac. Même mon patron semblait plus inquiet que John vis-à-vis de mon état de santé. Il m’avait arrêté sans date limite, m’avait fait envoyer des fleurs et des chocolats. John ? Juste de appels pathétiques et des visites qui ne lui permettaient pas de franchir le pas de la porte. Mon père faisait barrage, il avait toujours senti qu’il n’était pas fait pour moi. Mon père avait toujours eu une sorte de sixième sens implacable, je n’avais jamais rien pu lui cacher. C’est d’ailleurs lui qui avait prévenu ma cousine de l’autre bout de l’océan.
« C’est peut-être un peu excessif non ? »Contrairement à mon père, ma mère avait toujours apprécié John. Il était charmant, intelligent, beau parleur... Elle s’était laissée séduire comme moi, naïvement.
« Ce n’est pas excessif Mary, la petit a raison ! Ça ne peut pas lui faire de mal de prendre un peu de recul et elle connaît déjà Ottawa comme sa poche. »J’espérais que l’instinct de mon père soit aussi juste que d’habitude car j’étais terrorisée par mon projet. Qui n’était pas un projet d’ailleurs mais plutôt un vieux rêve que j’avais trop longtemps repoussé. Cette fausse couche avait été le coup de pied aux fesses dont j’avais eu besoin finalement... En espérant effectivement que je ne sois pas entrain de faire une fuite en avant stérile et idiote.
« Puis ce n’est que pour quelques mois, pour m’éloigner de lui, de cette vie. J’ai besoin de réfléchir mais je n’y arrive pas ici. »Trop de souvenirs, trop de pression. Mon patron était d’accord, il comprenait. Puis là bas je n’étais pas seule, c‘était ma seconde maison, j’avais besoin d’y être.
❀❀❀❀❀❀
« Mesdames et messieurs, nous entamons notre descente sur Ottawa, veuillez attacher vos ceintures, relever vos sièges et vos tablettes et ouvrir les hublots. »L’annonce m’avait faite sursauter. Ce n’était pas la première fois que je prenais ce vol, si bien que je prenais l’avion comme d’autres prenaient le bus. Ce voyage n’avait néanmoins rien à voir avec les autres. Cette fois je n’avais pas de billet de retour, c’était le grand saut. Il m’avait fallut du temps pour avoir les papiers nécessaires même si mon père était Canadien et qu’il avait fait en sorte que j’ai la double nationalité. Tout était en règle, j’étais prête. Enfin, sur le papier du moins. Quitter ma vie n’avait pas été une chose facile, si bien que j’avais même décidé de donner toute. Ma garde robe pour la refaire ici. Quitter l’ancienne moi pour en construire une nouvelle. John n’avait pas eu son mot à dire.
❀❀❀❀❀❀
« Tu peux rester tu sais ? »Je m’étais installée chez ma cousine dès mon arrivée histoire de reprendre mon souffle et trouver mes repères. Notre grand-mère était morte depuis peu et elle avait légué son salon de thé à sa petite-fille qui y avait travaillé dès qu’elle avait terminé ses études. C’est tout naturellement que cette dernière m’avait embauché pour me permettre d’avoir un salaire et une certaine sérénité. J’aimais travailler avec elle, vivre avec elle, la vie me semblait déjà plus douce malgré le froid qui tombait déjà sur la ville. Les longs hivers, ça n’allait pas être facile.
« Je sais mais j’ai besoin de vivre ça. Après tout je n’ai jamais connu ça à l’époque alors... Mieux vaut tard que jamais non ? »J’avais toujours vécu avec John en fait. Je n’avais pas connu les folles colocations étudiantes, la vie en communauté... J’avais trente ans, il était grand temps que je m’y mette ! Puis j’avais besoin de me sortir un peu, de me bouger, de faire plus. Non pas que ma cousine soit pénible à vivre, au contraire même, j’adorais notre vie.
« Ouais... Dis surtout que celui là est drôlement mignon ! »Nous étions toutes les deux devant mon ordinateur sur un site proposant des colocations. Certaines annonces n’offraient pas trop de détails sur les locataires mais, ici, il y avait une photo de groupe. Trois hommes dont un qui semblait plus jeune que les autres, de bonnes têtes, un en particulier, c’était indéniable... Mais ce n’est pas ça que j’avais apprécié, pas que en tous cas. L’appartement semblait spacieux et propre, bien placé, il y avait un garage, un accès au toit. Trop beau pour être vrai !
« C’est sûr que c’est un avantage même si je ne compte pas draguer mes colocataires. »« J’avoue que ça serait malaisant... Mais au moins tu auras une belle vue ! »S’amusa-t-elle, le regard pétillant. Serait-elle réellement sous le charme du jeune homme ? Peut-être n’était-ce pas une si bonne idée que ça de prendre une colocation avec eux ? Quoi que ça pourrait être amusant que ce caprice permette à ma chère cousine de rencontrer l’homme de sa vie ! Le destin est plein de surprise !
❀❀❀❀❀❀
« Nous avons un planning pour nettoyer les espaces communs. Pour les chambres, chacun se débrouille. »« Et pour la bouffe aussi. » J’étais assise sur le fauteuil du salon, face aux trois hommes de la colocation. Le charmant était effectivement très séduisant mais les deux autres n’avaient rien à lui envier. Ils m’avaient posé quelques questions sans être trop indiscrets puis nous avions visité l’appartement qui était effectivement aussi agréable que sur les photos.
« Vous ne mangez pas ensemble ? »Demandais-je, presque un peu déçue. J’imaginais volontiers des repas animés ensemble, raconter notre journée, plaisanter... Sans doute un peu cliché mais je ne connaissais rien de la réalité d’une colocation.
« Ah si ! Sauf quand nos horaires collent pas. Mais chacun se fait son plat. »« Ouais... Chacun commande sa propre pizza surtout ! »Avoua le plus jeune avec un petit sourire et un haussement d’épaules. Pas de grands cuisiniers donc, cliché !
« Je pourrais vous apprendre à cuisiner quelques plats si vous voulez. Et préparer aussi. Je termine relativement tôt. »Proposais-je, illuminant instantanément leurs regards. Sauf celui de l’un d’eux qui semblait sceptique.
« Je suis à moitié Canadienne, je ne vais pas vous préparer des plats Anglais bizarre promis. »Souriais-je, le détendant sur le champ. Quelques éclats de rire plus tard, j’avais été adoptée et, quelques jours plus tard, je m’installais dans ma petite chambre. Le fait de vivre avec d’autres personnes, de ne jamais être réellement seule était bénéfique. Je pleurais moins souvent, moins longtemps, je riais plus, vivais plus. Petit à petit je sentais la blessure se fermer et mon envie de revenir en Angleterre disparaître. J’étais chez moi, de nouveau vivante. Pas totalement guérie mais mieux.