La grande salle du Centre National des Arts accueillait ce soir un spectacle d’exception, auquel Georgia avait eu la joie d’être conviée par une de ses connaissances récentes qui jouait dans la pièce, Samantha. Le spectacle était une mise en scène de Robert Lepage, qui datait des années 90, et qui continuait d’être représenté aujourd’hui encore partout à travers le monde. C’était un spectacle très particulier, de part sa grande longueur, en effet, la pièce durait pas moins de sept heures, et se voyait s’enchaîner sept actes que l’auteur nommait des boîtes. Sa durée pouvait pour des non initiés paraître assez rebutant, mais c’était en réalité un véritable bijoux du théâtre contemporain, c’était une véritable ode poétique, une odyssée à travers l’espace, le temps, et l’existence de nombreux personnages que tout séparait et que malgré tout, tout reliait. En réalité, ces sept heures ne se firent pas du tout sentir, tant Georgia avait été immergée dans cette histoire, dans ce flux constant d’évènements, de retournements, Les sept branches de la rivière Ôta était finalement une invitation au voyage, un voyage dans lequel elle s’était bien volontiers laissée embarquée et pour le meilleur. Lorsque les lumières se rallumèrent et que la salle entière se leva pour applaudir les acteurs et leur performance incroyable, Georgia eut cette impression de sortir d’un long rêve. Le spectacle de Lepage était une réelle invitation à la rêverie.

Elle devait retrouver Samantha après le spectacle, pour boire un verre, manger un morceau, et surtout discuter du spectacle sur lequel elle avait travaillé si longtemps. Elle n’avait rien voulu lui en dire, lui préservant la surprise de la découverte et Georgia ne pouvait qu’en être plus heureuse encore. C’était un véritable plaisir de découvrir un tel spectacle. C’était une performance incroyable. Jouer pendant si longtemps, elle ne savait pas si elle en serait capable. Les spectacles de danse qu’elle faisait habituellement duraient entre une et deux heures, rarement plus, et étaient déjà des bonnes performances physiques. Elle se rappelait d’un spectacle de Pina Bausch notamment, le Sacre du Printemps, dans lequel les danseurs devaient évoluer sur un scène recouverte de terre dans laquelle leur pieds venaient s’enfoncer, le spectacle demandait aux danseurs un immense effort physique et c’était une performance vraiment incroyable. Elle avait vu bien sûre quelques pièces assez longues, mais ça ne dépassait rarement les trois heures. Le spectacle de Lepage était à part, un véritable ovni sur la scène théâtrale.

Après les applaudissements, la salle commença à se vider doucement et Georgia attendit patiemment que le le gros de la salle sorte par les diverses portes de sortie. Elle n’avait pas vraiment de problème avec le fait de se retrouver dans la foule, mais elle avait le temps, elle n’était pressée par rien, et même si Samantha attendait sa visite elle lui laisserait de cette façon le temps de récupérer un peu et de se changer. Sept heures de spectacle, même si elle n’était pas tout le temps sur scène, ce n’était tout de même pas rien ! Elle sortit à la suite de sa rangée et se dirigea hors de la salle. Une fois dans le hall elle suivit une foule qui se déplaçait à proximité des loges, pour aller saluer et remercier encore une fois les acteurs. Elle essaya tant bien que mal de se frayer un chemin, c’était comme essayer d’extirper un cornichon d’un bocal plein. Elle se glissa sur ses orteils, tenant avec aisance en équilibre malgré les remous de la foule autour d’elle, et observa les portes du couloir menant aux loges. Elles s’ouvrirent alors, laissant apparaître la silhouette de Samantha, rapidement noyée sous les bravos et les sollicitations de la foule. Elle lèva une main, tentant tant bien que mal de se faire voir au milieu de cette marée.

« Samantha ! Je suis là ! » Tenta-t-elle d’appeler par dessus le brouhaha de la foule. Malgré sa petite expérience dans le domaine du théâtre, on ne pouvait pas dire qu’elle avait exactement une voix qui porte… et elle eut bien de la peine à se faire entendre. Heureusement elle avait pour elle une arme imparable et qui lui valait toujours de se faire remarquer dans les lieux publics et au milieu des foules… La terrible coupe afro.