What the hell are you doing here ?

J'avais réellement eu une chance monumentale d'être acceptée au Motohead en vue de la l'image que m'avait collé l'autre crétin. Aucun garage n'avait voulu me prendre et ma réputation me précédait, me collant de façon fort désagréable à la peau. Un vrai calvaire... Mais Deran n'en avait eu que faire et, depuis, je n'avais pas compté mes heures pour lui prouver qu'il avait eu raison de me faire confiance. J'étais sur tous les fronts, enthousiaste et ponctuelle, pas la moindre bavure, pas le moindre faux pas. La perfection incarnée, je voulais vraiment redorer mon blason pour faire honneur à mon père. Plus question de merder.

Il y avait néanmoins quelque chose d'étrange vis-à-vis de mon nouveau patron. Une électricité entre nous, une sensation que je ne m'expliquais pas mais qui m'inquiétait grandement. J'avais perdu mon poste pour avoir refusé de coucher avec le fils du patron, j'étais consciente que le fait d'être une femme dans ce monde d'homme n'était pas en ma faveur... Il allait falloir que je sois extrêmement vigilante même si j'aimais le fait qu'il me fasse confiance et que nous soyons déjà si complices. Doucement mais sûrement, un petit jeu s'était installé entre nous, un jeu dangereux qui allait me brûler les ailes mais auquel je ne pouvais résister.

Quoi qu'il en soit, cette confiance quasi immédiate jouait en ma faveur et je mettais toutes les chances de mon côté : Quoi qu'il me demande, je l'exécutais dans l'instant et du mieux que je le pouvais. S'il fallait rapporter une voiture à un client, poster des documents, appeler... Je faisais en sorte d'être multi-tâches et ça me réussissait plutôt bien. Ou, du moins, jusqu'à maintenant car, sans le savoir Deran allait mettre mes nerfs à rude épreuve. En effet, ce matin là, il avait eu une urgence familiale à régler et il avait quitté le garage à la va-vite en me demandant d'accueillir le nouveau. Le contrat était prêt dans son bureau, je devais juste lui faire signer et l'accompagner dans sa première journée pour qu'il voit un peu le fonctionnement du garage. Je n'étais là que depuis deux mois mais je connaissais bien les lieux maintenant. Un jeu d'enfant.

Quelques minutes seulement après le départ du patron, un homme fit son apparition dans le garage. Grand, large d'épaule, avec le contre-jour je ne voyais qu'une silhouette depuis la voiture sur laquelle j'étais entrain de travailler. Pas assez claire pour que je distingue ces traits trop familier même si je senti un étrange pincement au fond de mon cœur. Rien d'alarmant pour l'instant, je souris en m'essuyant les mains pour le rejoindre sans me douter une seule seconde du choc qui m'attendait.

« Tu dois être le nouveau ? »

Lui lançais-je avec enthousiasme tout en me rapprochant de lui. Enthousiasme qui s'évapora à la seconde où mes yeux firent la mise au point... Saul. C'était une blague non ? Je stoppais net, encore à quelques pas de lui, un regard assassin colorant soudain mon regard. Je ne l'avais plus vu depuis son incarcération et mon amie n'avait pas réellement précisé sa date de sortie. Ils avaient divorcé entre temps et je m'étais rangée du côté de son ex-femme pour la simple et bonne raison qu'elle était ma meilleure amie. Autant dire que je lui en voulais à mort d'avoir été assez con pour se laisser emprisonner... Il les avait trahi et abandonné, ce n'était qu'un minable quoi que puisse en dire la jeune femme.

« Putain... » Murmurais-je avant une grande inspiration pour me calmer. « Dis moi que tu ne viens que pour faire réparer quelque chose. »

Lâchais-je finalement en expirant dans un soupir. Je n'avais pas envie de passer la journée avec lui, pas plus que je n'avais envie de bosser avec lui. J'étais trop déçue et trop dégoûtée. Et dire que nous avions été amis, que je lui avais fait confiance ! J'avais été là lors de leur rencontre, de leur mariage, de la naissance de leur fille... Il m'avait trahi moi aussi et j'étais trop rancunière pour passer l'éponge aussi facilement. Nous avions été trop proches pour réparer les morceaux avec un simple "désolé"... Pourvu qu'il ne soit pas le nouveau !

Just a step ahead

Ton incarcération t'avais fait perdre gros. Elle t'avait fait tomber de haut. L'arrestation des autres, de tes complices, précédait de façon logique la tienne. Mais jamais t'aurais pensé que ça foutrait tout en l'air à ce point. D'abord, ça t'as fais perdre des amis. Beaucoup d'amis qui au final, se sont révélés être des traîtres. Ces amis qui agissent aujourd'hui comme de parfaits inconnus. Des regards de travers en ville pour certains, d'autres qui baissent simplement la tête. Qui feignent l'occupation pour éviter la confrontation. Au final, ça t'auras permis de faire un grand tri. De mettre à la trappe toutes ces personnes qui auront été là uniquement pendant les bons moments. Pour pomper tout ce qu'il y avait de positif, de bon en toi. Mais jamais t'aurais pensé que dans ces personnes là, tu pourrais y compter Auva. Qu'elle demanderait le divorce du jour au lendemain alors que tout semblait aller si bien. À partir de là, tout s'est cassé la gueule : vos projets, tes espoirs et ta confiance envers les gens. C'était la seule pour qui t'avais posé le genoux à terre, la seule pour qui t'aurais pu crever la gueule ouverte. Elle avait tatoué ton âme et ton corps de ses caresses, de ses mots doux. Votre histoire aura été la seule chose réellement positive dans ta vie et elle a décidé d'y mettre fin en un seul claquements de doigts. Et à partir de ça, tout a été plus compliqué. Surtout en sortant de prison. Tu pouvais pas te permettre de ramper à ses pieds. Pour la seule et bonne raison que t'étais pas le fautif de sa connerie. C'était pas à toi d'aller lui présenter tes excuses pour quoique ce soit. Nan, ce serait trop beau. Elle en serait trop fière. Fallait que tu te démerdes de toi-même en sortant de taule, que tu te reprennes en main. T'as du trouver un boulot, retrouver un appartement. Ça a été compliqué et surtout très long. Impossible de retrouver un boulot avec l'étiquette d'ancien taulard sur le front. Encore plus avec celle de voleur placardée sur le crâne. Beaucoup de refus. Tellement qu'à force, t'arrivais plus à les compter sur les doigts. Mais t'étais tombé sur cette annonce, cette recherche d'un mécanicien assez urgente visiblement. T'avais contacté le patron, vous aviez longuement discuté et, après des heures d'appel et des jours d'envoi de papiers, il avait accepté de te donner ta chance. C'était l'occasion rêvée. Un taf réglo pour reprendre une vie toute aussi réglo, le tout combiné à ta passion pour les engins à moteurs et autres bicoques à quatre roues.

Le stress noyé dans le fond du regard, les mains moites, tu te garais devant le garage où t'avais rendez-vous. C'était le moment, le jour j. Celui où t'allais devoir assurer, donner tout ce que t'as pour montrer de quoi t'es capable. Montrer que tu ne pourrais qu'apporter que du positif à cet établissement et que tu t'arrêtais pas seulement à un mec en habits oranges qui fait les cent pas derrière des barreaux. Ton regard se portait nerveusement sur l'enseigne qui surplombait le toit, là où de grandes lettres affichaient presque fièrement : Motorhead Garage. T'en avais déjà beaucoup entendu parler. T'avais déjà eu l'occasion d'en être client, d'y passer plusieurs fois. Tu connaissais un peu les lieux, un peu les visages qui y bossaient. L'intégration devrait ne pas y être trop difficile, et pourtant. Tu te contentais de te traîner à l'intérieur de la cour, recherchant du regard le boss, Deran. Parce que c'était lui qui était censé t'accueillir, te faire faire le tour des locaux et te superviser pour ta première journée. Mais c'est avec une blonde que tu tombas nez-à-nez. Intrigué premièrement par sa voix qui te rappelles vaguement quelque chose, mais persuadé que tes idées te jouent des tours. Après tout, faudrait pouvoir se rappeler exactement d'une voix après cinq ans en prison. « C'est moi, oui. Saul Fitzgerald, enchanté. » Tu t'approches de quelques pas, le sourire niché aux lèvres et la main déjà tendue par signe de politesse, prêt à faire bonne image auprès de cette future collègue. Mais ton bras retombe presque immédiatement quand tu te rends compte de celle que t'as en face de toi. Emily. La meilleure amie d'Auva. Bordel de merde. Tu jures intérieurement. Des milliers d'habitants ici et fallait que tu tombes sur elle. Celle qui faisait parti de ces "traîtres", de ceux qui t'avaient tourné le dos. Tes sourcils se froncent presque automatiquement suite à sa remarque. « Content de voir que t'es tout aussi ravie que moi. J'avais rendez-vous avec Deran, tu peux m'le chercher ? Qu'on abrège. T'en oubliais la politesse, bien trop submergé par une vague de haine. Tu sentais ton palpitant s'affoler nerveusement. T'espérais que ça allait pas éclater, que t'allais pas perdre tes moyens. Bien trop rancunier et déçu. Elle qui avait été si proche de toi, de ta famille. L'impression que les fantômes du passés, ceux que t'avais essayé de fuir, cherchaient quand même à te hanter. 

What the hell are you doing here ?

Au premier mot, j'avais reconnu sa voix car je l'aurais reconnue entre mille et mon cœur se figea quelques secondes avant de repartir au quart de tour. Nous avions passé tellement de temps ensemble, je m'étais sentie tellement trahie ! Au fond, je m'en voulais de ne jamais avoir osé lui rendre visite en prison. Auva avait été assez vague quant aux réelles raisons de son emprisonnement et je n'avais pas cherché plus loin. Il y avait peu de gris dans mon monde et j'avais estimé que, pour aller en prison, il fallait être mauvais. Une conclusion douloureuse car j'avais adoré Saul par le passé, j'avais cru que c'était un type bien... Belle erreur.

Mon cœur battant maintenant à tout rompre, c'est mon corps qui s'était arrêté net, m'interdisant de compléter les quelques pas qui me séparait du "nouveau" que je devais accueillir et guider tout au long de la journée. Le destin nous faisait une très mauvaise blague à laquelle je ne m'étais clairement pas préparée. Les mots qui sortirent de ma bouche furent si acides qu'ils me brulèrent la gorge et les siens écorchèrent mes oreilles. Ok, on partait sur du donnant donnant et ça ce n'était pas une surprise. Il ne pouvait que m'en vouloir d'avoir coupé les ponts même s'il avait dû se douter que je prendrais le partie d'Auva quoi qu'il advienne. Radicale peut être mais loyale.

« Le boss n'est pas là aujourd'hui, il a eu une urgence et c'est à moi qu'il a confié ton intégration. » Rétorquais-je froidement mais assez professionnellement pour éviter qu'on se saute à la gorge. « Je n'ai pas l'intention de laisser cette histoire entacher mon travail alors, si tu veux toujours bosser ici, suis moi. »

Lançais-je sans lui demander son reste avant de tourner les talons pour le mener jusqu'au bureau. Il avait sûrement besoin du travail comme moi j'en avais eu besoin... On se traîner tous les deux une belle réputation même si ce n'était pas pour les mêmes raisons. Deran aurait dû appeler son garage "seconde chance" visiblement. En tous cas, j'avais trop aimé Saul pour lui gâcher la sienne et j'aimais trop ce travail pour le perdre à cause de lui. J'allais donc passer outre, faire de mon mieux pour rester professionnelle malgré la colère que je sentais bouillonner dans mon ventre. Il allait avoir une Emily avec une tête de six pieds de long mais, au moins, il saura tout ce qu'il y a à savoir sur le garage. Deran m'a confier une mission et je la tiendrai jusqu'au bout, coute que coute.

« Ton contrat est là, il n'y a plus qu'à le signer. Il semblerait que vous ayez déjà pas mal discuté par téléphone alors normalement c'est tout bon. » Expliquais-je, debout derrière le bureau du patron, faisant glisser le contrat dans sa direction. Professionnelle oui... Courage ! « Si tu as des questions n'hésites pas. Après on ira visiter un peu les locaux et je te montrerai le matériel. »

Bien. Bon, s'il avait été un parfait inconnu j'aurais été plus avenante mais j'étais un peu moins rigide quand même. Mon cœur se calmait doucement alors que mon cerveau tentait de se convaincre que c'était pour la bonne cause. Pas pour Saul mais pour moi, pour prouver à Deran que j'étais capable de faire mon travail quoi qu'il en soit, que j'étais bonne dans mon domaine et qu'il pouvait me faire confiance. Si Saul restait, il allait savoir tout ce dont il avait besoin avant de partir, j'en faisais une promesse. Dure à tenir mais mes nerfs avaient connu pire.